« Se rejoindre »
Que reste t-il des fragments racontés par ces paysages qui captent la vue ? Happé, le corps immobile, le souffle se fait plus présent puis le geste accompagne un regard sous la fulgurance d’un éclair qui tente de se libérer d’un brouillage épineux. Si l’on s’attache aux tonalités retrouvées par Laurence Nicola, on y découvre la posture d’un alchimiste amoureux. Ses mains jouent d’un lyrisme affuté en composant les premières notes d’une symphonie où la brutalité de la matière creuse les traits d’un inconnu, d’une ombre, cet autre.
En soudant les formes, Laurence Nicola expérimente, rassemble et confronte les éléments choisis pour apporter de la chair au squelette de sa pièce. Comment mieux donner du relief à ces objets qu’en choisissant d’y laisser ses traces, certes invisibles, mais encore brûlantes de désirs sur les contradictions qui cultivent nos émotions.
Dans Collection, l’assemblage des objets trouvés et fabriqués répondent à la convoitise, presque obsessionnelle, de capturer des souvenirs et de les tresser à d’autres comme autant d’équations et de doutes possibles sur cette relation à deux. Une bibliothèque de songes dans laquelle les muscles de béton cristallisent les lignes délicates du papier moulé et de l’empreinte en porcelaine. Bien plus qu’un cabinet minimal sur l’objet, cette mosaïque de formes déborde de sensualité laissant en suspens le parfum d’un corps, d’un geste, d’un instant décisif, caressant la fragilité d’une couleur et la transparence d’un sentiment.
Lorsque Michel Foucault explique que la transgression est un geste qui concerne la limite et qu’elle se doivent l’une à l’autre la densité de leur être1, on reconnaît le mariage mécanique entre matière et geste à la lisière du débordement dans les migrations répétées de l’artiste vers la matière. Dans Le repli, le personnage est attentif aux pas obstinés d’un soulèvement énigmatique, dangereux, peut-être même attractif. La densité de la matière est éloquente dans son propre Déroulé, un paysage de papier basculé puis redressé à la verticalité ; le reflet d’une mémoire, d’un passé, d’un souvenir, plus présent que jamais. Tout comme l’étagère de plâtre issue d’un papier bulle dans Transports amoureux traduit ce flirte permanent entre la force et le sensible.
Dès lors, la présence semble toujours en proie au basculement, dans un tourbillon proche du déchirement et pourtant, la fragilité de la touche laissée par l’artiste transperce l’équilibre de la matière pour sublimer les lignes de son volume. Un dialogue, un jeu de correspondances entre lumière et obscurité afin d’y intégrer plus de nuances dans cet instant figé, intemporel, organique.
Chez Laurence Nicola, se cache derrière ses œuvres, un corps qui expérimente le « Faire ». Un processus de pensée où le dédale surréaliste, nuageux et hypnotique de ses pièces est traversé par un geste en répétition, une libération du corps, un abandon sans raison. Elle récolte ces objets puis sème des indices pour mieux les utiliser comme les éruptions complices d’un déplacement qui s’opère entre l’organique et la métaphore. Dans ce duel, entre le geste et l’objet, la respiration et le suspens, l’intrigue et la catharsis, le flou et le transparent se rejoignent l’émoi et le silence d’un chant passionné pour la matière.
Mehdi Brit, décembre 2014.
1Michel Foucault, Préface à la transgression. Hommage à Georges Bataille, Paris, Nouvelles éditions lignes, 2012, pp.16-17; publié pour la première fois dans Critique, n°193-196, août-septembre 1963