Texte de Céline Mallet, dossier de presse : « Dessins etc… », décembre 2008-Janvier 2009, galerie Anton Weller, Paris
Making of : deux petites mains de femme auscultent avec circonspection un godemiché en plastique noir. Planche à découper comme en cuisine, mètre à mesurer, cutter : les gestes seront agiles, méticuleux, implacables. On les verra mesure, entailler puis étêter l’objet qui, avant d’être re-harnaché, se verra doté d’une lame de couteau bien effilée _ Aïe. Délire maniaque, cathartique ? Soumission suicidaire ? Conspiration ?
Pour appréhender le travail de l’artiste et vidéaste Laurence Nicola, peut-être faut-il se souvenir des plans radicaux du Jeanne Dielman de Chantal Ackerman, et cette héroïne s’atomisant dans la litanie des tâches domestiques : Jeanne faisant le lit, Jeanne faisant la cuisine, Jeanne faisant la vaisselle ou l’amour lors de passes monnayées, avant que l’irruption de la jouissance ne fasse violemment dérailler son impeccable mécanique en forme de déni. Que se passait -il donc chez Jeanne Dielman ?
C’est sans doute à partir de cette opacité-là, et ses forces irrationnelles, qu’œuvre consciencieusement Laurence Nicola. Le cadre de son travail aussi est quotidien ou plus exactement, les scénarios qui commandent ses vidéos partent toujours d’objets quotidiens qu’elle réinvestit dans d’excentriques rituels. Ce sont des centaines de bonnets dont elle se coiffe jusqu’au déraisonnable, c’est du pain qu’elle coud comme on se raccommode, c’est une baignoire emplie de lait dans la douceur duquel on s’immerge jusqu’au vertige, ou c’est la pente d’une baignoire sur laquelle elle grimpe, sur laquelle elle glisse_ avant l’Everest : avant le plus dur.
Les mises en scènes de Laurence Nicola éprouvent comme explorent l’en soi du corps : ses blessures, sa mémoire, ses arrangements héroïques ; elles parlent de la sinuosité de nos désirs, et des tensions au fond tragi-comiques que l’on opère envers et contre l’autre. Ces vidéos sont nues, têtues, leurs titres aigus et le ton tout à la fois cinglant, gonflé, ironique, et poétique. Ainsi ce petit angelot noir se recroquevillant sur un pan d’éponge imbibée d’eau et qui dégorge comme on pisse : un peu piteux, un peu pathétique… Fragilité de la posture, mais que l’artiste transcende par la picturalité d’un clair obscur caravagesque : ténue mais séductrice, la Pisseuse dévoilera son charme dérangeant derrière l’entrebâillement d’une porte, s’immiscera dans un recoin de la galerie.
Laurence Nicola dessine enfin quotidiennement. Ce sont les humeurs : grandes abstractions organiques en noir et blanc, paysages mentaux ou instantanés de sensations ineffables, mutantes, et quasi tactiles : l’art provocant de Laurence Nicola est en dernière instance éminemment charnel ; Jeanne ne sera décidément plus jamais tranquille.
Céline Mallet*
* Professeur d’Art Ecole Duperré, en charge de la rubrique Image dans Magazine