Dans les années 70, Richard Long arpentait le paysage, créant d’imperceptibles traces de son passage, Herman de Vries débutait sa collection de terres multicolores et David Nash repensait le rapport à la sculpture en “sculptant” des arbres vivants avec The Ash Dome (1977). Autant de gestes artistiques qui invitent l’homme à adopter un autre rapport avec le vivant. Dans la lignée de ces artistes visionnaires, le travail de Laurence Nicola est le reflet d’une époque où notre rapport à la nature évolue au rythme de l’urgence climatique. Du corps au paysage, l’artiste compose des micro-mondes “écologiques” au sens premier du terme, c’est-à-dire, qui explorent les corrélations entre les êtres vivants et le milieu qui les entoure. Vivant au contact de la nature et sensible à son environnement, l’artiste s’en imprègne pour créer des œuvres polymorphes incluant dessin, vidéo, sculpture, photographie et installation, qui mettent en scène sans hiérarchie préétablie, des éléments issus du paysage, des matériaux industriels, des objets, des rebuts avec son propre corps.
En effet, depuis ses premiers travaux, le corps tient une place centrale dans le travail de l’artiste. Outil de perception et de mesure, il est le vecteur de nos émotions. « En utilisant le corps, j’essaye d’éprouver physiquement mes idées et de les rendre perceptibles », explique l’artiste. Ainsi, dans ses vidéos et ses photographies, Laurence Nicola confronte son corps à celui des autres mais également à des objets ou des matières marquantes (une baignoire en zinc, œufs, souches calcinées, etc.). Elle expérimente alors les possibilités d’approches entre son corps et ces matériaux à travers des mises en scène qui questionnent tout à la fois l’identité, la fragilité de l’être et les affres de la condition humaine.
Entretenant un rapport de collectionneuse avec le monde, Laurence Nicola « chine » et prélève des objets lors de ses dérives artistiques. Elle collecte ainsi des rebuts de plastique ou de polystyrène qui deviennent le matériau d’assemblages minutieux, des Ready Made naturels qui brouillent les pistes sur leur provenance. Inspirée par l’Anti-form et particulièrement le travail d’Eva Hesse (1936-1970), l’artiste élabore des dispositifs d’exposition qui présentent ses objets collectés d’une manière inédite, relevant à la fois de la classification scientifique et du cabinet de curiosités.
Le passage d’un élément vers son multiple est récurrent dans la démarche de l’artiste. Elle le multiplie comme dans Rituel ou le divise pour pouvoir composer une nouvelle forme, comme dans Éclosion ou Coucher de soleil. L’artiste travaille des matériaux comme le papier, le verre, le mica, le sel ou le plâtre, qui peuvent être effeuillés, déchirés, morcelés, induisant l’élaboration de protocoles et de gestes qui permettent leur transformation. Il se dégage de ces œuvres créées à partir de fragments et recomposées dans des équilibres précaires, une fragilité qui évoque la vulnérabilité du vivant mais aussi sa capacité de résilience.
Passant du plan au volume, Laurence Nicola crée de grands muraux et des installations qui réactivent l’ensemble de son vocabulaire artistique et forment des paysages quasi abstraits. Les éléments naturels, directement exposés ou évoqués par des principes de forme tels que la sédimentation ou la stratification, dialoguent avec des éléments qui figurent la présence humaine (morceaux de corps, objets manufacturés). Créant des rythmes et des compositions inédites, ces paysages semblent être une réactualisation symbolique d’un paysage romantique à l’heure de l’anthropocène. Entre le changement climatique et l’écroulement de la biodiversité, nous “marchons sur des oeufs”, comme l’illustre avec humour l’artiste dans sa photographie Repeat.
Anaïs Montevecchi 2021